Cet article présente le codéveloppement comme dispositif d’apprentissage des compétences émotionnelles et sociales, tel qu’utilisé dans le cours Intelligence émotionnelle au travail, du programme DESS de HEC Montréal. Professeure titulaire et responsable de ce cours, Estelle Morin a choisi ce dispositif en parallèle avec d’autres pour faciliter le développement des compétences émotionnelles et sociales. Les étudiants de ce programme de deuxième cycle sont pour la plupart des professionnels aux profils très variés (comptables, avocats, ingénieurs, architectes, chimistes, biologistes, infirmiers, professionnels en développement organisationnel ou en ressources humaines, etc.) qui ont en commun l’intérêt de contribuer significativement à la performance de leur organisation. Dans cet article, nous présentons brièvement ce cours et le dispositif mis en place pour faciliter l’atteinte des objectifs d’apprentissage. Nous proposons une réflexion nourrie par un partage d’expériences des étudiants et des enseignantes.
Codéveloppement, processus d’apprentissage, intelligence émotionnelle.
Par Corinne Prost, M.Sc., chargée de cours au HEC Montréal, spécialiste, développement talent et apprentissage, fondatrice de CAP Formation-développement.
Estelle M. Morin, Ph.D., professeure titulaire au HEC Montréal.
Marie-Christine Albert, M.Sc., maître d’enseignement au HEC Montréal.
Le management actuel s’exerce dans un environnement complexe qu’on décrit à l’aide de l’acronyme VUCA1 (volatile, incertain, complexe, ambigu) (Baran et Woznyj, 2020) qui met à l’épreuve les capacités d’adaptation et la résilience des personnes et des organisations. Celles-ci relèvent de plusieurs formes de l’intelligence humaine et au premier rang se trouve l’intelligence émotionnelle. L’objectif du cours Intelligence émotionnelle au travail est d’acquérir et de développer les habiletés et les compétences émotionnelles qui sont nécessaires pour faciliter le développement des personnes et des organisations. Les étudiants sont ainsi invités à parfaire leurs habiletés à percevoir et à exprimer les émotions, à faciliter l’accomplissement d’une tâche grâce à la mobilisation des émotions, à comprendre et à réguler les émotions (Mayer et Salovey, 1993) à travers la connaissance de soi émotionnelle, la maîtrise de soi, l’adaptabilité, l’empathie, la gestion des conflits et le leadership (Boyatzis, 2018).
Estelle Morin, professeure titulaire et responsable du cours, préconise l’approche expérientielle en raison de son efficacité à faciliter l’apprentissage tout en respectant les différences individuelles. Inspirée du modèle de David Kolb (1984), cette approche suppose la mobilisation d’une expérience concrète que les personnes vont pouvoir observer et sur laquelle elles vont réfléchir pour la comprendre et en retirer une leçon qu’elles pourront expérimenter activement à l’occasion d’une expérience semblable. C’est exactement ce que met en œuvre un cycle de consultation dans une séance de codéveloppement : les participants examinent en petits groupes une situation problématique qu’ils vivent ou qu’ils ont vécue. La réflexion que le dialogue engendre permet d’explorer différentes hypothèses, soutenues par les connaissances et les expériences des membres du groupe. Fort de cette compréhension, chacun, chacune s’engage à expérimenter de meilleures façons d’agir ou de réagir dans ce genre de situations.
Rappelons que le codéveloppement est une méthode d’accompagnement entre pairs visant l’acquisition et le développement de compétences (Payette et Champagne, 1997). Un groupe de codéveloppement se réunit périodiquement pour effectuer un exercice structuré de consultation portant sur des problématiques qu’auront choisies ses membres. Cette méthode d’apprentissage table sur la réflexion individuelle et collective et sur l’engagement des participants à tenir leur résolution entre les séances de consultation.
Dans le cadre de ce cours, le codéveloppement permet de faciliter l’acquisition des connaissances et le développement des compétences émotionnelles et sociales utiles pour intervenir efficacement auprès des personnes, des groupes ou des organisations (Morin, 2017).
Pour identifier les compétences à perfectionner durant le cours, nous utilisons la version universitaire de l’Inventaire des compétences émotionnelles et sociales ICES-U(Goleman et Boyatzis, 2005). Ce questionnaire permet d’évaluer 12 compétences émotionnelles et sociales : la connaissance de soi émotionnelle, le désir de réalisation, l’adaptabilité, la maîtrise de soi émotionnelle, l’optimisme, l’empathie, la compréhension des organisations, la gestion des conflits, le coaching et le mentorat, l’influence, le leadership charismatique et le travail d’équipe. Deux capacités cognitives sont aussi évaluées : la pensée systémique et la reconnaissance des constantes. Cet outil d’évaluation à multiples évaluateurs permet de faire le point sur les compétences associées à l’intelligence émotionnelle et de connaître l’opinion des personnes qui ont été invitées à le remplir. Les étudiants sont ainsi capables de déterminer le niveau qu’ils ont atteint selon les évaluateurs et de choisir les compétences qu’ils devraient acquérir ou parfaire durant le programme, voire après. Certains étudiants vont par exemple découvrir grâce aux résultats de leur rapport ICES-U qu’ils se sont surévalués au niveau de leur conscience d’autrui et se fixer comme objectifs de mieux comprendre les rouages organisationnels ou encore d’apprendre à mieux écouter les autres. D’autres vont être surpris de leur fort désir de réalisation et se donner comme objectif de trouver un meilleur équilibre pour leur santé et leur bien-être.
Pour faire leur plan d’apprentissage, nous utilisons l’exercice des cinq découvertes qu’ont mis au point Daniel Goleman et Richard Boyatzis. Il s’agit d’un exercice d’introspection qui mobilise les forces de la personne pour stimuler le développement de ses compétences, un peu comme dans une enquête appréciative. La première découverte est l’image idéale de soi : s’ils se permettaient de rêver, comment les étudiants aimeraient-ils être, ce qu’ils aimeraient faire. La deuxième consiste à faire le bilan de leurs forces et de leurs limites. La troisième vise à déterminer leurs objectifs de développement en déterminant trois compétences émotionnelles et sociales qu’ils veulent développer durant le semestre. La quatrième consiste à découvrir les forces qu’il est possible de mobiliser pour développer ces compétences et à faire leur plan d’apprentissage. La cinquième est de s’engager à le faire, avec les membres de son groupe de codéveloppement.
Les deux exercices précédents servent de base réflexive pour amorcer le travail du groupe de codéveloppement où, chacun, chacune doit penser à formuler une demande de consultation selon la méthode des trois P : une problématique, une préoccupation ou un projet. Pour encourager la reconnaissance de ses émotions vis-à-vis de ces trois P, nous recommandons l’utilisation du baromètre de l’humeur développé par Marc Brackett et Robin Stern. C’est une application très simple à utiliser qui permet de reconnaître l’émotion ou le sentiment ressenti dans le moment présent en évaluant son niveau d’énergie (axe vertical) et le degré d’agréabilité de son état affectif (axe horizontal). C’est la première étape de la régulation des émotions. En faisant cet exercice, les étudiants sont mieux préparés aux ateliers, car il facilite la prise de conscience de son état émotionnel et sa compréhension. C’est en quelque sorte un exercice d’introspection qui stimule la pratique réflexive (Burkitt, 2012; Holmes 2010; Hibbert et al, 2021.).
Les principes du codéveloppement formulés par Adrien Payette (2000:42) sont rigoureusement appliqués :
Des groupes de quatre ou cinq personnes sont formés de manière aléatoire dès la deuxième séance du cours. Quatre séances de trois heures chacune sur douze sont programmées pour le codéveloppement : deux avant la mi-session et deux après. Chaque groupe est responsable de s’organiser pour la préparation, l’animation et le suivi de ces rencontres. Ces rencontres peuvent se tenir en présence ou en visioconférence. Dans tous les cas, nous encourageons les étudiants à enregistrer les séances pour ensuite s’en servir comme matériel d’apprentissage : se voir et s’écouter stimulent l’introspection, la réflexion critique et l’apprentissage. Durant les séances de codéveloppement, les enseignantes sont disponibles et peuvent être consultées, à la demande des étudiants.
Dès la première rencontre, les étudiants doivent choisir l’ordre des consultations, après avoir écouté la demande de consultation des membres du groupe. Puis s’ensuivent des cycles de consultation selon les six étapes suivantes :
Un cours dure trois heures avec plusieurs cycles de consultation. Par conséquent, chacun est appelé à jouer les trois rôles d’un groupe de codéveloppement :
L’animateur : faciliter le dialogue, gérer le processus de codéveloppement et mesurer le temps. L’animateur s’occupe du processus et non pas du contenu. Il ne joue pas un rôle d’expert, sauf si le groupe lui en a confié un. Il doit contrôler son implication. Ces rôles sont joués les uns à la suite des autres, selon le plan qu’ils se sont donné, au début de la séance.
Le dispositif de codéveloppement est intégré aux activités d’évaluation du cours qui encourage la réflexion individuelle et collective sur les apprentissages. À la fin de chaque rencontre, les étudiants sont invités à remplir un questionnaire d’évaluation en ligne, leur permettant de faire le point sur l’efficacité et la qualité de l’expérience de codéveloppement.
Conçu par Estelle et perfectionné avec Corinne et Marie-Christine, ce questionnaire original s’inspire de plusieurs ouvrages dont celui de Payette et Champagne (1997) et de St-Onge et Prost (2018). Il compte 10 questions évaluées sur une échelle en 7 points ; il prend une minute à remplir. Il est affiché à la figure 1.
Figure 1. Questionnaire d’évaluation d’une séance de codéveloppement.
Deux rapports de codéveloppement à produire en équipe comptent pour 20 % de la note globale. Le premier est remis à la mi-session : c’est un rapport d’étape qui fait le point sur les progrès accomplis par les membres et par le groupe. Le deuxième est remis à la fin du semestre : il fait la synthèse des apprentissages réalisés et les suites à donner dans leur vie professionnelle.
Le codéveloppement est utilisé dans ce cours depuis le semestre de l’hiver 2017 ; plus de 550 étudiants du deuxième cycle y ont participé. Nous avons évalué plus de 250 rapports de codéveloppement. Sur la base de cette expérience, nous présentons nos constatations sur le dispositif mis en place pour développer les compétences en intelligence émotionnelle et sociale.
Cette section présente nos principales constatations issues des rapports de codéveloppement recueillis depuis 2017. Nous avons également complété ces témoignages par une courte entrevue avec sept étudiants à la suite de la session de l’hiver 2021.
Des rapports de codéveloppement, nous faisons deux constatations : les bénéfices du processus de consultation lui-même et l’utilité du questionnaire d’évaluation pour développer les compétences en intelligence émotionnelle et sociale.
D’une part, le processus de consultation lui-même ainsi que la répétition des cycles de consultation ont facilité le développement des compétences émotionnelles et sociales et en particulier, celles qui relèvent de la conscience sociale. Un témoignage typique : « …l’exercice, par sa nature, a forcé chacun à pratiquer et faire preuve d’empathie et d’écoute attentive ».
D’autre part, le recours à un questionnaire d’évaluation tout de suite après une rencontre de codéveloppement a facilité grandement l’apprentissage en stimulant la réflexion critique et le dialogue sur les ajustements à faire pour enrichir les rencontres suivantes.
Ces réflexions et les ajustements servent à produire leurs rapports de codéveloppement. Le tableau 1 montre les résultats de l’évaluation de ces critères entre la première séance et la deuxième. Ce graphique leur permet d’identifier les écarts et par conséquent, les efforts à fournir pour améliorer leur performance à la troisième séance. Cette activité leur permet de constater directement l’évolution de la qualité de leur expérience et de perfectionner les compétences associées à la pratique du codéveloppement.
Tableau 1. Compilation des évaluations à la suite de deux séances de codéveloppement. Les questions sont celles du questionnaire d’évaluation en ligne dont il a été question ci-dessus.
L’exercice de rétroaction collective rend possible l’identification de stratégies de régulation pour s’améliorer. Par exemple, il est fréquent de constater que les équipes rapportent que chacun n’avait pas eu assez de temps pour sa consultation (question 1) et par conséquent, se donnent des stratégies à la deuxième séance pour corriger ce problème. Les équipes observent souvent qu’elles ne mobilisent pas suffisamment les connaissances pour enrichir leur réflexion (question 5), ce qu’elles tentent de faire mieux à la séance suivante. Cette exigence de la mobilisation des connaissances en intelligence émotionnelle qui relève du cours représente un véritable défi pour l’ensemble des équipes, car elle suppose la maîtrise des théories et des concepts qui apparaissent souvent abstraits. En revanche, au fur et à mesure qu’ils s’intègrent à leurs connaissances, la réflexion gagne en profondeur et les compétences émotionnelles et sociales s’améliorent.
Il est intéressant de voir comment les outils utilisés semblent favoriser le regard sur soi. Dans leur rapport de codéveloppement, nous constatons que les étudiants observent souvent qu’ils ont tendance à poser le même type de questions dans leurs échanges, ce qui les incite à prendre les moyens pour varier leur style d’intervention. « … Nous nous efforcerons d’utiliser une plus grande variété de techniques de questions, par exemple l’exploration, l’élucidation, la confrontation afin de bonifier l’approche, l’enrichir et rendre plus intéressante la pratique du codéveloppement. »
Pour en savoir davantage sur l’expérience étudiante, nous avons invité les étudiants inscrits au semestre d’hiver 2021 à une rencontre virtuelle. Plusieurs ont accepté volontiers notre invitation. Les réponses aux cinq questions que nous leur avons posées corroborent les rétroactions recueillies par le biais de nos évaluations d’enseignement ainsi que par les tours de table à la fin du semestre.
Question 1 : Qu’avez-vous appris de l’expérience des ateliers de codéveloppement ? Que vous ont-ils apporté ?
Les participants sont unanimes, ils trouvent que l’expérience du codéveloppement leur a permis:
Question 2 : Qu’en est-il à propos de vos activités professionnelles, de votre rôle, de la façon de comprendre et d’exercer vos fonctions actuelles ou éventuelles ?
Ils rapportent que les principes du codéveloppement et les règles de son déroulement les ont conduits à développer les attitudes de respect, de bienveillance, nécessaires à la réflexion critique, à l’écoute active et à l’exercice du coaching. Les étudiants disent mieux comprendre l’importance de la régulation émotionnelle pour établir des relations professionnelles basées sur la confiance.
Question 3 : Identifiez des compétences et des façons d’entrer en relation que cette participation aux ateliers de codéveloppement vous a aidé à acquérir ou à perfectionner.
Ils disent que la participation au groupe de codéveloppement a engendré un climat de confiance, soutenant la création de relations de grande qualité. Parmi les compétences acquises, ils rapportent l’empathie, l’écoute active et le coaching. Ils pensent avoir une meilleure capacité à aider l’autre dans son développement professionnel. Ils disent aussi se sentir mieux disposés pour prendre un recul sur différentes situations afin de mieux les saisir, mieux comprendre les réactions émotionnelles et les conduites dans les milieux de travail.
Selon eux, le processus de questionnement inhérent à la méthode de codéveloppement a permis d’accroître la flexibilité cognitive requise pour respecter la diversité, pour reconnaître les différences de perspectives et pour adopter une approche plus équilibrée dans leur mode de communication et de résolution de problème.
Question 4 : Quelles applications voyez-vous dans votre domaine professionnel à partir de cette expérience ? Que faudrait-il mettre en place pour y arriver ?
Les étudiants reconnaissent l’utilité de la méthode tant au niveau professionnel que personnel. La création d’espaces de dialogue dans leur milieu professionnel permettant de prendre un recul par rapport à l’action est selon eux une pratique à développer. Ils partagent que la réflexion critique qu’elle engendre favorise la compréhension de situations complexes et le dialogue qu’elle entraîne incite au discernement, à la prise de décision et à l’engagement dans l’action.
Cette expérience les a aussi amenés à voir les avantages de la participation d’une grande diversité de personnes, tant au niveau de leur âge, de l’origine, de l’expérience ou du statut occupationnel. Le codéveloppement et ses principes résonnent avec les besoins d’inclusion et de résolution de problèmes complexes.
Question 5 : Quel message auriez-vous envie de communiquer à d’autres étudiants sur cette expérience ?
« L’essayer c’est l’adopter ! ». Les étudiants sont unanimes sur la pertinence de ces laboratoires de codéveloppement pour développer leurs compétences émotionnelles et sociales. Ils reconnaissent qu’en début de semestre, ils ont beaucoup de craintes, d’appréhensions et de questionnements ; ils ressentent aussi beaucoup d’inconfort à devoir se montrer vulnérables devant leurs pairs. Exposer des situations problématiques et surtout, leurs difficultés personnelles sont des barrières qu’ils partagent avoir surmontées et disent que cette expérience leur a appris à mieux s’affirmer.
Pour finir, ils ont pu constater par eux-mêmes les effets bénéfiques de leur engagement dans cette expérience sur leur vie professionnelle. Ils recommandent fortement son application dans les milieux de travail, afin de créer des environnements sains, sécuritaires, qui ont du sens.
Recourir au codéveloppement pour faciliter l’apprentissage est certes un défi très stimulant, car il suppose la maîtrise de son processus et l’ouverture à l’expérimentation, autant de la part des enseignants que de celle des étudiants. Pour les enseignants qui souhaitent utiliser cette méthode d’apprentissage, nous leur recommandons fortement de l’expérimenter pour eux-mêmes, afin d’en connaître tous les aspects qui vont bien au-delà du savoir théorique de la démarche.
Les méthodes associées à l’apprentissage expérientiel demandent aux enseignants d’adopter une attitude d’éducateur plutôt que d’instructeur (Rogers, 1957). Il faut avoir confiance dans la capacité des étudiants à apprendre par eux-mêmes, sous l’effet de l’expérience concrète et tabler sur leur désir de réalisation pour les engager dans leur propre processus de développement. Cela suppose des valeurs humanistes et une conception positive de la nature humaine. Il faut aussi de l’humilité pour afficher une telle attitude.
Comme c’est un dispositif d’apprentissage encore nouveau pour beaucoup d’étudiants, il représente une source d’anxiété d’autant plus forte que les apprentissages qui en découlent seront évalués et compteront dans la note finale. Il faut donc savoir gérer les inquiétudes et les préoccupations des étudiants, d’où les structures mises en place pour encadrer l’expérience. Ces structures donnent un certain contrôle aux étudiants, ce qui a pour effet de soulager leur anxiété.
Les étudiants sont souvent avides d’informations et comme c’est un dispositif parallèle au contenu du cours, il faut savoir trouver un juste équilibre entre les connaissances associées au codéveloppement et celles qui seront vraiment utiles pour la conduite de leurs activités d’apprentissage. Nous recommandons à tout enseignant qui voudrait se lancer dans cette aventure de mettre à leur disposition une trousse d’informations essentielles qui présente la démarche, ses principes, les rôles à jouer ainsi que les objectifs par le choix de cette approche dans le cours enseigné.
Faire une démonstration de type fishbowl est aussi très efficace pour aider les étudiants à s’approprier la méthode, car il stimule l’apprentissage vicariant (Bandura, 1977). L’enseignant joue le rôle d’animateur, un étudiant joue le rôle de client et d’autres, celui de consultants. Cela vaut la peine de préparer cette simulation en invitant un étudiant à penser à une problématique réelle, concrète, qu’il peut exposer en classe. C’est aussi très utile d’offrir une grille de comportements aux étudiants qui observent le groupe de codéveloppement pour noter les interventions de l’animateur et celles des consultants. Cela facilitera la plénière qui portera sur les étapes d’un cycle de la consultation, sur les comportements d’animation et ceux de consultation. Cette plénière pourra se conclure sur les moyens de surmonter les difficultés fréquemment rencontrées comme la formulation des questions, surtout à l’étape de la clarification du problème ou du projet, ou encore la pratique réflexive à l’étape de l’identification des apprentissages et d’évaluation de ce processus de consultation.
Quatre moyens ont valorisé l’apprentissage des compétences émotionnelles et sociales par le codéveloppement : le rapport de rétroaction sur ses compétences émotionnelles et sociales durant les ateliers, l’exercice des cinq découvertes et la tenue d’un journal d’apprentissage, l’évaluation collective immédiatement après les séances de codéveloppement et la rédaction de rapports de codéveloppement. Ces outils ont servi à structurer la démarche d’apprentissage et ils ont aussi servi à dynamiser les rencontres. Ainsi, le dispositif de codéveloppement que nous avons mis en place est accompagné d’activités réflexives (auto-évaluation, progression, écriture), ce qui a favorisé l’apprentissage en profondeur (Biggs, 2012a, b; Champagne, 2021).
La formule intensive que nous utilisons a l’avantage d’augmenter la fréquence des expériences de codéveloppement. Ainsi, une équipe de quatre personnes aura expérimenté seize cycles de consultation durant le semestre et chaque étudiant aura été client quatre fois (sur le même sujet ou non). La répétition étant favorable à l’apprentissage, les étudiants s’approprient assez rapidement la méthode et passent littéralement au contenu des consultations : l’apprentissage des compétences émotionnelles et sociales mobilisées dans les situations problématiques exposées par leurs collègues de classe.
Nous avons aussi observé que les étudiants deviennent de plus en plus conscients de leurs habitudes, de leurs schèmes de comportements automatiques et par conséquent, de plus en plus volontaires pour les remettre en question. Dans ce sens, ce dispositif a contribué à développer leur métaconscience (Pinard, 1992).
L’acquisition de connaissances essentielles au développement de l’intelligence émotionnelle est au cœur de l’exercice des fonctions de management, de gestion des ressources humaines ou de conseil en développement organisationnel. Les laboratoires de codéveloppement semblent avoir suscité des prises de conscience individuelle et collective sur :
Au-delà de ces prises de conscience, nous pensons que les séances de codéveloppement ont raffermi l’engagement des étudiants envers les objectifs d’apprentissage du cours, en attisant leurs intérêts personnels pour leur propre développement et en mettant à profit les expériences qu’ils ont vécues ou qu’ils sont en train de vivre. En leur donnant l’occasion de valoriser leur expérience, de mobiliser leurs forces et leurs talents pour élargir leurs horizons et d’accroître leur sentiment de liberté et de responsabilité, nous leur donnons les moyens de poursuivre avec persistance des objectifs qui ont un sens pour eux (Immordino-Yang, 2016).
Nous tenons à remercier tous les étudiants qui se sont prêtés à l’exercice au fil des sessions ainsi que les étudiants de l’hiver 2021 qui ont répondu à nos questions : Alizée, Emmanuel, Florence, Jean-Philippe, Julie, Sedjologande et Magalie. Ils sont ingénieure mécanique-société-conseil, conseillère syndicale, coordonnateur en développement organisationnel, comptable, ou tout simplement étudiant ou étudiante en management ou en développement organisationnel.
Bandura, Albert (1977). Social learning theory, Oxford, England, Prentice-Hall, viiii, 247 p.
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