Le codéveloppement professionnel, une approche efficace pour accompagner les transformations des organisations

Résumé 

Cet article décrit le dispositif de la mise en place de Groupes de Codéveloppement Professionnel (GCP) selon l’approche de Payette et Champagne pour accompagner pendant dix ans les transformations d’une organisation lors de fusions successives et la transmission de l’animation des GCP à des animateurs internes dans cette organisation.

Les facteurs de réussite de cet accompagnement ont été l’engagement, la stratégie des petits pas, la persévérance et le partage de valeurs communes entre les animateurs externes et les acteurs clés de l’organisation. 

Mots clés

Codéveloppement, notoriété, promotion, avenir

 

Par Sylvie Lambert

Biographie
Sylvie LAMBERT, diplômée HEC Paris, 40 ans d’expérience professionnelle, 15 ans d’expérience de management dans des groupes internationaux puis dans un cabinet de formation en management. En 2001, elle créée la société AVELA qu’elle dirige depuis. Elle mène des accompagnements de coaching individuel et de GCP. Elle est une des pionnières du codéveloppement professionnel en France depuis 2005.
Courriel : sylvie.lambert@avela.fr

Cet article relate une expérience de codéveloppement qui s’est déroulée en France entre 2009 à 2020 dans un groupe de santé et prévoyance collective. Plusieurs fusions de sociétés du même secteur ont donné naissance au groupe actuel : 6 en 13 ans, soit, en moyenne, une tous les deux ans.

Aujourd’hui, cette organisation, paritaire et mutualiste à but non lucratif, compte 568 000 entreprises clientes en retraite complémentaire et 10 millions d’assurés et ayants droit (collectif et individuel). Sa raison d’être a été co-construite avec l’ensemble de ses 12 000 collaborateurs : « Être le leader de la protection sociale, innover sans cesse au service de l’humain, en faire toujours plus pour protéger et accompagner nos clientes entreprises, salariés et retraités. »

Cet article décrit le dispositif et les facteurs de réussite de la mise en place de Groupes de Codéveloppement Professionnel (GCP) selon l’approche de Payette et Champagne porganisation lors de fusions successives et la transmission de l’animation des GCP à des animateurs internes dans cette organisation.

 

A – L’utilisation de GCP pour accompagner les managers lors des fusions successives

 

Contexte et acteurs en présence

Tout a commencé à l’automne 2009, lors d’une des premières fusions entre deux groupes de santé et de prévoyance collective. Un audit culturel effectué par une société extérieure a révélé des cultures d’entreprise et des styles de management différents. « Chez l’une, la culture est celle du changement et du mouvement. Le management est descendant. Les valeurs professionnelles (efficacité, procédures) sont valorisées. Chez l’autre, la culture est celle de la souplesse et de la stabilité. Transversalité, cohésion des équipes, management participatif ou mode projet, valeurs humaines sont valorisés. » 

La direction du nouveau groupe décida d’harmoniser les modes de management et de créer des espaces de codécision. Le Directeur des Ressources Humaines (DRH) était arrivé en 2008 dans le groupe. Nous nous connaissions et collaborions depuis dix ans. Nous nous faisions confiance et avions des modes de fonctionnement similaires : nous écoutions nos intuitions et aimions innover au service des humains. Il fut une des premières personnes à qui j’ai présenté le codéveloppement en 2006. 

Objectifs de la mise en place de GCP

Fin 2009, le DRH eut l’intuition d’utiliser l’approche du codéveloppement professionnel, alors presque inconnue en France afin d’accompagner les managers dans cette période de grands changements. En accord avec le comité de direction, il avait plusieurs objectifs en tête :

  • Harmoniser les pratiques managériales,
  • Briser l’isolement dans la période « incertaine » du rapprochement des deux sociétés,
  • Créer une communauté des managers, et ainsi,
  • Soutenir l’appartenance au Groupe, nouvellement constitué.

Il demanda à un autre animateur avec lequel je coopérais régulièrement et à moi-même de l’accompagner dans la mise en place et l’animation des GCP.

 

Mise en place d’un processus d’évaluation

Une évaluation à chaud 

Les évaluations à chaud, orales en présence du DRH ou de la responsable formation pour chaque groupe et écrites dans les feuilles d’évaluation, étaient très positives : les participants étaient contents de découvrir les managers de l’autre société, de se sentir accompagnés dans cette période floue où ils avaient plus de questions que de réponses comme c’est souvent le cas lors de fusions.

Ils disaient avoir progressé dans leur écoute et l’accompagnement du changement auprès de leurs équipes. Ils avaient beaucoup apprécié la méthode du codéveloppement et les deux animateurs externes.

Nous avions envie d’en savoir plus sur l’impact concret de ces GCP sur la pratique managériale des participants et sur les transformations post-fusion après un ou deux ans de recul. Nous souhaitions aussi répondre aux exigences de la formation professionnelle et des systèmes de qualité. Notre client ne nous le demandait pas, le processus étant innovant en France, en 2011.

 

Une évaluation à froid 

En novembre 2011, après deux ans d’utilisation du codéveloppement professionnel, nous avons fait réaliser une évaluation à froid par un cabinet canadien indépendant, avec l’accord du DRH. 

Elle fut réalisée par l’envoi d’un questionnaire en ligne aux 63 participants : 75% ont répondu, ce qui constituait un taux de réponse très élevé pour une enquête en ligne. 

Voici les principaux résultats de l’évaluation à froid :  

  • À plus de 94%, les managers ont apprécié de « pouvoir mieux se situer » et « de mieux connaître leurs collègues et connaître des collègues desautres entités ».   
  • 94% des managers estiment « les échanges de groupe utiles et pertinentsà l’égard de leurs besoins ».  
  • Les impacts sont à la fois personnels, professionnels et organisationnels : la consolidation de la confiance en soi, la résolution de problèmes et l’émergence d’un esprit de collaboration renouvelé renforcent le sentiment d’appartenance au nouveau groupe. Pour tous, la découverte d’autres modes management que le sien ouvre le champ des possibles, par exemple, sur le recadrage des collaborateurs.
  • Parmi les verbatim recueillis dans l’évaluation à froid, deux synthétisent, chacun à leur manière, l’essentiel des bénéfices de l’intelligence collective, du partage d’expertises et d’innovations qui peuvent émerger d’un GCP : « Le plus important est d’apprendre, grâce au groupe, à se connaître et à s’accepter pour devenir meilleur. »  « On arrive avec un problème, on en ressort avec une solution et souvent différente de celle qu’on s’était imaginée. » 

En janvier 2012, le groupe se rapprocha d’une autre société de santé et de prévoyance collective. Devant les résultats positifs obtenus après la fusion de 2009, le DRH fit de nouveau appel aux GCP pour arrimer des cultures managériales différentes, partager et développer les expertises des managers, accélérer les collaborations essentielles à l’avenir du nouveau groupe.

 

B — Transmission de l’animation à des animateurs internes

 

Pourquoi des animateurs internes ?

Des convictions personnelles 

  • La mienne : en 2005, quand j’ai découvert le codéveloppement professionnel, j’ai rêvé d’apprendre à « pêcher à mes clients et ne plus pêcher pour eux ». J’ai imaginé démarrer l’animation pour les premiers GCP puis former des animateurs internes afin de faire bénéficier au plus grand nombre de personnes des apports du codéveloppement.
  • La conviction du DRH : en 2011, nous avions commencé à parler d’animateurs internes. Je lui avais suggéré de former des managers à l’animation de GCP comme cela se faisait au Canada. Il ne pensait pas que ce fut une bonne idée en France. Il souhaitait que la responsable formation, devienne la première animatrice interne.
  • J’étais réticente, car j’avais formé un responsable des ressources humaines dans une autre entreprise qui n’avait pas réussi se positionner en tant qu’animateur. 
  • De plus, en 2011, les participants aux GCP affirmaient lors des évaluations orales effectuées avec la responsable formation, qu’ils n’auraient pas pu se livrer autant avec un animateur interne. L’équipe des ressources humaines était, alors, très critiquée pour l’accompagnement des deux fusions, la confiance à son égard était à reconstruire.

 

Comment ? Un processus de sept ans et quatre étapes  

Première étape : former une première animatrice interne 

En 2013, le DRH m’a demandé de former la responsable formation du groupe à l’animation de GCP. À l’issue de la formation, elle était très enthousiaste, mais dut attendre 2015 avant d’animer son premier GCP. Grâce à sa pédagogie, sa persévérance et le soutien de sa responsable hiérarchique, adjointe du DRH, la réticence de ses collègues est tombée petit à petit. La confiance s’est construite et a pris de l’ampleur grâce à trois ateliers pilotes : deux dédiés aux responsables RH (prescripteurs de la démarche en interne) et un dédié aux membres du Club des Marraines et Parrains (les marraines et parrains sont des managers expérimentés qui accompagnent les nouveaux managers dans leurs premiers pas).

La responsable formation témoigne : « La puissance et la cadre de la méthode où chacun s’en tient à son rôle, et uniquement à son rôle durant l’atelier, a démontré son efficacité.

La plus grande difficulté rencontrée a été et reste de trouver assez de volontaires pour constituer des groupes les plus hétérogènes possible, c’est-à-dire venant de directions différentes.

En tant que manager, c’est audacieux de s’offrir une matinée pour un atelier de codéveloppement. En tant que DRH, accorder du temps aux managers est un vrai défi surtout en période de fusions successives de l’entreprise. Il est difficile aussi de constater et mesurer ces effets, lorsque les décideurs changent. À chaque fois, il faut repasser par les différentes étapes de mise en place de GCP : expliquer, expérimenter, lever les freins de l’interne. »

Deuxième étape : former cinq nouveaux animateurs internes 

Courant 2018, la direction de coopération managériale, en accord avec le DRH, décidait de former cinq animateurs internes afin d’accompagner les managers dans la mise en place de nouvelles méthodes managériales pour la conduite de réunion.

À la suite de cette formation, seulement 3 GCP ont pu être animés par les animateurs internes. En effet, une nouvelle fusion annoncée changeait les priorités.

Troisième étape : convaincre la nouvelle DRH de l’intérêt des animateurs internes de GCP 

Début 2019, la fusion fut officialisée. Le DRH avec lequel j’avais collaboré pendant dix ans avait quitté le groupe. Le nouveau était convaincu de l’intérêt du codéveloppement pour créer une culture commune et embarquer l’encadrement ; il n’était pas prêt à faire appel aux animateurs internes.

Dans le même temps fleurissaient des initiatives « atelier de codéveloppement » au sein de l’entreprise. Certains ressemblaient plus à des partages de pratiques.

Fin 2019, grâce à la demande d’une direction de mettre en place des GCP et à la force de conviction de la responsable formation, deux « pilotes », un pour le comité de direction et un de managers de proximité, sont lancés.

Leurs succès ont permis de proposer à tous les managers de la direction d’en bénéficier en 2020 afin d’accompagner l’organisation post fusion. Ces GCP sont animés exclusivement par les animateurs internes, alors qu’au départ un appel d’offres externe avait été lancé.

Quatrième étape : « passer le témoin » avec la mise en place de la supervision  

Depuis 2014, la responsable formation continue à se perfectionner en participant à un groupe d’animateurs de codéveloppement professionnel formés et expérimentés.

Cette professionnalisation est transposée avec la mise en place de la supervision pour les animateurs internes. Lors de ces séances de supervision, je les accompagne, avec la responsable formation, à progresser dans leur animation grâce à des partages de notre expérience, des questions pour les faire réfléchir (comme en coaching) du partage d’expériences entre eux et parfois des capsules de formation.

 

C — Recul sur l’expérience

L’analyse nécessaire à la rédaction de cet article m’a fait prendre conscience que les facteurs clés de réussite de cette expérience ont été les suivants :

  1. Avoir un interlocuteur décideur, un DRH qui ait la confiance du CODIR ou un CODIR partie prenante de l’accompagnement. 
  1. Avoir diagnostiqué une culture de l’entreprise proche de l’esprit du codéveloppement ou avoir une direction générale d’entreprise qui a envie de la faire évoluer :
  • D’une culture hiérarchique vers un mode de management participatif
  • D’un mode de fonctionnement en silos vers un mode où l’intelligence collective et la transversalité sont valorisées.

Ceci constituait en 2010 et encore aujourd’hui, un grand pas pour beaucoup d’entreprises en France. Le fait que le groupe actuel et les sociétés qui lui ont donné naissance, soient des groupes de protection sociale paritaires et mutualistes a certainement constitué un facteur facilitant pour la mise en place de GCP.

  1. Co-construire une vision commune et les étapes de la mise en place de GCP entre les animateurs externes que j’appelle plutôt « accompagnateurs » et les acteurs-clefs chez le client grâce à une confiance mutuelle et une communication régulière.
  1. Adopter une stratégie des petits pas (groupes pilote) et évaluer les bénéfices concrets des différentes parties prenantes à chaque « petit pas ».
  1. Faire preuve de patience, de détermination (quand les interlocuteurs changent, quand une nouvelle fusion est annoncée) et de pédagogie.

La rédaction de cet article m’a permis de me rendre compte que mon rêve d’apprendre à « pêcher à mon client » était devenu une réalité et que j’avais fait preuve d’une grande patience moi qui suis si impatiente.

 

 


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