Les ressources de concertation doivent jouer de nombreux rôles pour favoriser la coopération et le travail collectif entre plusieurs organisations. Il n’existe pas de manuel universel pour y arriver. Le codéveloppement apparaît comme une méthode pertinente pour favoriser le développement des compétences par des études de cas pratiques, une mise en action concrète et le développement d’une forme de communauté de pratique entre les ressources de concertation. C’est ce dont témoigne la démarche de concertation COSMOSS au Bas-Saint-Laurent, qui utilise depuis 2008 le codéveloppement professionnel dans la formation continue de ses ressources de concertation
Développement des compétences – communauté de pratique – concertation
Biographie
Ludovic Décoret s’est formé au codéveloppement professionnel lors de ses études en psychosociologie à l’Université du Québec à Rimouski. Il détient une maîtrise en étude des pratiques psychosociales et est évaluateur qualifié de la Société canadienne d’évaluation. Impliqué dans la démarche COSMOSS Bas-Saint-Laurent depuis 2010, il coorganise les activités de formation continue, comprenant des sessions de codéveloppement professionnel. Courriel : ldecoret@cosmoss.qc.ca
Amener plusieurs organisations de secteurs différents, comme le réseau de l’éducation et le réseau de la santé et des services sociaux, à unir leurs efforts et à collaborer pour renforcer leurs interventions sur des thèmes communs pose de nombreux défis. C’est le pari que tentent de relever les démarches de concertations intersectorielles, comme la démarche de Communauté ouverte et solidaire pour un monde outillé, scolarisé et en santé (COSMOSS) au Bas-Saint-Laurent (BSL). S’attaquer ensemble à des problématiques que l’on ne peut plus résoudre seul demande du temps, du soin et de l’accompagnement.
Pour faciliter cela, des professionnels sont employés par COSMOSS afin d’orchestrer et d’accompagner les travaux collectifs : les ressources de concertation. Elles sont confrontées à de nombreuses situations singulières et ne peuvent s’appuyer sur un mode d’emploi pour les traiter de manière uniforme. Chaque nouvelle situation demande une analyse, une recherche de solution et une mise en action particulière, adaptée à la culture et au contexte de la concertation et incluant les acteurs en présence.
Afin de favoriser le partage, l’entraide et la recherche de solution entre les ressources de concertation COSMOSS, des sessions de codéveloppement ont été intégrées à leur formation continue depuis 2008. Particulièrement appréciées, ces sessions leur ont permis au fil des années de développer une communauté de pratique forte, au service de leur développement professionnel et du renforcement de leur rôle de facilitateur de concertation. C’est ce que nous allons exposer dans cet article.
En octobre 2002, la présentation d’un portrait de la jeunesse du Bas-Saint-Laurent intitulé Travaillons ensemble… tout au long du parcours (Bernier, 2002) a révélé de grandes préoccupations pour l’avenir des jeunes dans cette région et la nécessité d’agir collectivement pour prévenir les inégalités sociales et dans le domaine de la santé. En 2004, des partenaires régionaux du Bas-Saint-Laurent ont décidé d’unir leurs forces pour améliorer la santé et le bien-être des jeunes et de leurs familles, de leur naissance et même de la conception jusqu’à 30 ans. Les réseaux de la santé et des services sociaux, de l’éducation, de l’emploi, du secteur communautaire et du municipal ont créé la démarche COSMOSS. Elle favorise un rassemblement volontaire d’organisations pour travailler autour de quatre enjeux principaux : l’entrée scolaire réussie, la réussite éducative, les saines habitudes de vie et l’intégration socioprofessionnelle.
Présente dans chacune des huit Municipalités régionales de comté (MRC) du BSL, COSMOSS soutient un vaste réseau de près de 300 organisations partenaires dans toute la région. Ensemble, ces organisations mettent en œuvre de nombreuses initiatives auprès des jeunes et des familles. En 2020-2021, ce sont près de 300 initiatives concertées qui ont été réalisées. Des thèmes très variés sont abordés comme l’éveil à la lecture, l’écriture et les mathématiques, la première transition vers l’école, la valorisation de l’éducation, la conciliation travail-étude, le déplacement actif, l’accès à l’alimentation, ou encore la transition vers le monde de l’emploi.
La démarche COSMOSS s’organise entre deux paliers complémentaires : le régional et le local. Au palier régional, le comité régional de coordination COSMOSS a comme rôle principal de déterminer les orientations stratégiques de la démarche et de soutenir les concertations locales dans leurs travaux. Les membres sont les directions des principales organisations partenaires de COSMOSS citées précédemment et les représentants des bailleurs de fonds (Bernier et Thibodeau, 2018). Une équipe régionale est en place et a pour fonction d’accompagner les concertations de chacun des territoires de MRC, par du transfert de connaissance, du conseil stratégique et l’organisation de formations continues.
Le palier local, qui fait référence à la concertation locale dans chacun des huit territoires de MRC, se compose d’un Comité local de concertation (CLC) qui assure la mobilisation des organisations et la réalisation de la mise en œuvre d’un plan d’action stratégique par des comités de travail. Chaque CLC peut compter sur le soutien de ressources humaines de concertations dédiées à l’élaboration, la coordination et l’accompagnement de la réalisation d’un plan d’action concerté.
En 2021, environ 25 ressources de concertation locale œuvrent dans la démarche COSMOSS. Elles doivent jouer de nombreux rôles dans l’accompagnement des acteurs. Dans une même semaine, elles peuvent animer une rencontre de travail, analyser un portrait de la situation des familles, faire de la médiation entre organisations, conseiller dans la mise en œuvre d’une activité, faire la liaison entre plusieurs partenaires, etc.
Les ressources de concertation doivent faire preuve de polyvalence pour trouver des solutions à une multitude de situations, tout en veillant sur la relation de coopération entre les organisations, l’avancée des initiatives concertées et le soutien des jeunes et des familles concernées. Elles jouent le rôle de consultant, au sens de St-Arnaud, Lescarbeau et Payette (2003, p.13) : « c’est un professionnel qui gère un processus de changement ; il se différencie de l’expert-conseil, qui donne un avis professionnel sur un contenu particulier ». Les ressources doivent sans cesse réinventer leur manière de faire, pour s’adapter aux situations. Donc, faire preuve de compétence, au sens de Le Boterf (2011) : « C’est mettre en œuvre une pratique professionnelle pertinente par rapport aux exigences de la situation, tout en mobilisant une combinatoire appropriée de ressources […]. On se réfère ici au domaine de l’action, de l’agir professionnel. »
Afin de soutenir les ressources de concertation locale dans leur rôle, l’équipe régionale de COSMOSS a mis en place en 2008 des Comités de travail inter-MRC (COTIM). À quatre reprises dans l’année, toutes les ressources de concertation se rassemblent pour participer à des sessions de formation continue, dont les objectifs sont de favoriser l’avancée de la mission de COSMOSS, permettre l’entraide entre les équipes locales et renforcer leurs capacités de mobilisation. Sur deux jours, une trentaine de ressources assistent à des présentations de contenus en lien avec les enjeux COSMOSS, des sessions de travail collectif et participent à des sessions de codéveloppement professionnel (Payette & Champagne, 1997).
Chaque COTIM est évalué et les participants peuvent suggérer des thèmes de travail, qui sont pris en compte dans l’organisation des prochaines sessions. De plus, dans la mesure du possible, un temps est donné à chaque personne pour faire le lien entre les contenus abordés, les ateliers et un projet de développement personnel. Par exemple, cela s’est traduit dans les premières années par l’identification d’un projet personnel de formation en début d’année et un temps de retour sur ce projet lors de chaque COTIM.
Historiquement, le COTIM visait à répondre à un besoin des ressources de concertations locales qui en 2008 se sentaient isolées dans leur territoire de MRC, sans pairs pour échanger sur leurs questionnements, leurs réalités et leurs problématiques. Au départ, l’objectif était donc double : créer cette communauté de pratique entre les ressources de concertation et leur apporter de la formation continue sur leur rôle. Le codéveloppement professionnel semblait une méthode pertinente pour répondre à ces enjeux, comme en parle Claude Champagne (2015) : « Le groupe de codéveloppement est donc une forme de communauté de pratique et une approche de groupe ouverte, collaborative et appréciative, de réflexion et d’apprentissage sur et par l’action où des règles de confidentialité, d’assiduité, de participation et de rigueur facilitent le succès ».
L’un des grands avantages du codéveloppement dans le cadre des COTIM est que tout le monde peut apprendre et se développer, même s’il n’y a qu’une seule personne qui expose une situation. En proposant des solutions à partir de leur propre expérience, les participants l’approfondissent, l’intègrent et en tirent des apprentissages. Comme l’explique Galvani (2006, p.5) : « Ce retour réflexif va permettre de transformer l’expérience par la prise de conscience et la problématisation. C’est cette réflexion sur l’expérience qui permet à chacun de construire une problématique de formation personnelle ». De plus, faire ces réflexions en groupe « est fondamental. En pluralisant les compréhensions de l’expérience, il favorise la prise de conscience et la décentralisation des « a priori » et des « évidences » subjectives » (Galvani, 2006, p.6).
Tous les deux ans, le codéveloppement est présenté dans ses fondements et son déroulement en étapes à toutes les ressources COSMOSS. Cela permet aux anciennes ressources d’avoir un rafraîchissement et une réaffirmation de cette approche et aux nouvelles de mieux la comprendre. De plus, plusieurs ressources de concertation se sont formées au codéveloppement professionnel lors de leurs études1.
Concrètement, les participants sont invités quelques semaines avant les COTIM à envoyer aux organisateurs des situations qu’ils aimeraient soumettre au reste du groupe, que ce soit une préoccupation, un problème ou un projet. Deux à trois situations étaient reçues généralement. Par la suite, une rapide présentation des situations a lieu en grand groupe, puis des sous-groupes de 6-7 personnes se forment, selon les intérêts des ressources. L’animation est assurée par les organisateurs du COTIM, qui maîtrisent bien ce type d’animation selon le déroulement proposé par Payette et Champagne (1997).
Une fois sur trois environ, aucune situation n’était proposée. Pour y remédier, une rapide introspection était réalisée, afin de laisser quelques minutes aux ressources pour anticiper leurs prochaines semaines de travail et y trouver des sujets. Il a toujours été facile d’identifier des situations ainsi, tant le contexte de la concertation est riche en situations à résoudre.
À la suite des restrictions sanitaires dues à la situation de la COVID-19, une partie des COTIM en 2020 et 2021 a eu lieu en visioconférence. Ce fut l’occasion d’expérimenter une nouvelle formule. Trois sous-groupes de 6-7 personnes étaient constitués pour traiter trois demandes, avec un animateur dans chaque sous-groupe. Après 25 minutes de discussion, les personnes qui présentaient une situation étaient transférées dans un autre sous-groupe avec l’animateur. Les autres participants ne changeaient pas de sous-groupe. Les étapes de clarification, de contrat étaient effectuées rapidement à chaque début de sous-groupe, pour passer rapidement aux échanges autour des solutions. À la fin de l’atelier, une fois que tous les sous-groupes avaient été rencontrés, les personnes qui présentaient étaient invitées à partager leur plan d’action et tous les participants à nommer rapidement un apprentissage personnel.
Cette formule de codéveloppement hybride avec une formule participative de type « café du monde » (world café) a eu deux avantages. Le premier est de permettre à tous de participer à toutes les situations, ce qui était demandé depuis longtemps, renforçant ainsi l’esprit de communauté souhaité dans les COTIM. Le second est de réaliser un inventaire très riche de solutions, ce que les demandeurs apprécient beaucoup. Par contre, cette forme permet moins l’approfondissement des premières étapes du codéveloppement et la dernière étape d’apprentissage personnel est également peu développée. Elle laisse moins de place à l’approfondissement et à la formation personnelle, ce qui dénature quelque peu l’approche initiale du codéveloppement. De plus, elle se prête bien à des visioconférences, mais apparaît moins évidente pour une rencontre en personne.
En 2021, les COTIM font partie intégrante de la démarche COSMOSS et sont un rendez-vous attendu par beaucoup de ressources de concertation. Cette communauté de pratique fait maintenant partie du modèle d’accompagnement et les nouvelles ressources s’y intègrent naturellement. Bien que les sessions de codéveloppement n’aient pas été proposées lors de tous les COTIM depuis 2008, cette méthode demeure une activité privilégiée et très appréciée par les ressources.
Pour en témoigner, les ressources de concertation ont eu l’occasion de s’exprimer en juin 2021 à travers un questionnaire d’appréciation. Il y a eu 10 répondant(e)s des sessions de codéveloppement, soit un taux de réponse de 33%. Parmi ces 10 répondant(e)s, 5 ont participé à une entrevue individuelle pour approfondir leur expérience. Le faible taux de réponse ne permet pas une généralisation, mais les réponses sont suffisamment homogènes pour affirmer que cela représente un des points de vue des ressources COSMOSS à propos du codéveloppement.
Les 10 répondant(e)s au questionnaire ont une expérience très variée de la démarche COSMOSS, allant de 6 mois à 13 ans d’ancienneté. 8 sont des ressources locales et 2 des ressources régionales. À la question « recommanderiez-vous le codéveloppement à d’autres ressources œuvrant dans le même domaine? », la majorité répond très favorablement. Pour ces personnes, le codéveloppement « est une des meilleures méthodes d’apprentissage dans le contexte de la concertation » permet de « mettre à profit l’intelligence collective, de partager notre problème et la responsabilité de trouver une solution », et cela est « tellement génial et surprenant de voir où l’expérience peut nous mener ».
Les répondant(e)s apprécient particulièrement le recul et la suspension du jugement que permet le cadre du codéveloppement, pour aller plus loin dans la compréhension de la situation et sa résolution : « Souvent, les questions de clarification permettent à la personne de préciser sa pensée et son questionnement », « on se place rarement en situation d’écoute totale […] les gens nous poussent à aller au-delà de nos propres solutions, cela peut aussi venir nous confirmer plusieurs sentiments face à la problématique. Très constructif ». Les ateliers permettent « d’avoir un regard neuf sur une situation donnée, et l’approche permet de suivre de fil des pensées des participant(e)s. La pratique de tous et toutes s’en voit améliorée et les différentes expertises valorisées ».
Le sentiment de soutenir la personne pour l’aider dans sa situation est réel, comme le confirme ce témoignage :
« J’ai participé à un codéveloppement sur un comportement agressif d’un partenaire […] et cette situation très injuste m’est restée en tête pendant des jours. C’est vraiment venu me chercher, même si ce n’était pas moi qui vivais cette situation. J’aurais voulu en faire plus pour l’équipe COSMOSS qui vivait une situation inacceptable. Je les sentais impuissants. Je pense que nous sommes vraiment venus appuyer cette équipe. »
Tous les répondant(e)s considèrent que les sessions de codéveloppement ont été utiles pour les personnes qui ont présenté une situation, pour leur propre pratique même s’ils n’ont pas présenté de situation et constituent un élément important des COTIM. De plus, la plupart se considèrent suffisamment outillés pour en refaire en dehors des COTIM, en partie grâce aux présentations faites tous les deux ans et à l’observation des personnes plus expérimentées.
Les entrevues vont dans le même sens que les résultats des questionnaires. Pour ces ressources qui ont présenté une situation de codéveloppement, les ateliers ont permis de « prendre du recul », profiter des « perceptions de tout le monde et tu entends les réflexions de tout le monde », « de s’inspirer et de clarifier des éléments », « d’amener une suspension du jugement qui peut amener à des solutions nouvelles ou inédites ».
Une nouvelle ressource COSMOSS a indiqué combien ces ateliers sont intéressants pour ceux qui ont encore peu d’expérience de la concertation sur leur territoire. Les échanges leur permettent de profiter pleinement de l’expérience des autres ressources, qui font un travail semblable : « Comme nouvelle, je me rappelle m’être dit que c’était une façon de procéder super intéressante »; « J’arrive dans la démarche COSMOSS. [Ce fut] super concret d’entendre et de comprendre le contexte dans les autres territoires », « ça me nourrit clairement, sur mon rôle, les actions reportées, ce qui peut se faire, etc. ».
L’expérience terrain de chaque ressource est mise à profit, ce qui favorise l’entraide, l’esprit d’équipe et le fait de se sentir soutenu face à sa situation : « Ce que j’apprécie des codéveloppements, ça valorise et ça met de l’avant l’intelligence collective », « on est toutes des expertes, on travaille toute sur les stratégies, on a de l’expérience, donc voir une consœur de travail qui vit des difficultés, ça vient toucher des cordes sensibles ».
Plusieurs soulignent également l’importance de l’animation et du cadre pour amener une situation en toute tranquillité. Les personnes doivent se sentir en confiance, pour partager des situations où elles ne savent pas encore comment faire et pour parler de leur propre expérience : « l’importance de la personne qui est à l’animation, pour s’assurer que tout le monde puisse donner son mot ». Les moments de codéveloppement lors des COTIM semblent avoir été suffisamment bien encadrés pour que les ressources COSMOSS « cherchent une plus-value pour le moment, et que cela constitue un des moments majeurs qui a créé une synergie d’équipe. Ça a créé un esprit de groupe. Tu as pu parler d’une situation difficile et être conseillé, en toute confiance ».
On retrouve dans ces témoignages les ingrédients qui font le succès du codéveloppement, comme en parle Claude Champagne (2015) : « l’idée de s’offrir avec des pairs un espace privilégié de réflexion et d’échange axé sur l’action comme projet commun, un lieu et des conditions où se transposent facilement les valeurs du rétablissement et de l’approche par les forces, peut assurément soutenir le développement professionnel des intervenants et leur santé psychologique ».
Voici une situation de codéveloppement présentée par une ressource locale, pour illustrer l’entraide et le partage d’expérience. Des informations ont été modifiées pour que l’on ne puisse pas reconnaître le contexte.
La ressource est nouvellement entrée en poste dans sa MRC et reprend l’accompagnement des travaux d’un comité s’intéressant à l’activité physique. Les représentants d’organisations présents sur ce comité s’entendent tous sur des besoins clairs de leur communauté, mais aucun ne se montre volontaire pour prendre en charge des initiatives pour répondre à ces besoins, comme la création d’un répertoire de l’offre d’activité physique dans la communauté. La question était la suivante : comment faire pour aider les membres du comité à avancer dans leurs travaux ?
Après avoir exposé la problématique, répondu à quelques questions de clarification et préciser la demande, les ressources COSMOSS des autres territoires de MRC du Bas-Saint-Laurent ont pu expliquer ce qui se passait chez elles, comment se traite la question de porteur, quelle organisation pose des gestes concrets, etc. Pour la personne qui a présenté sa situation :
« Cela m’a permis de voir ce qui se faisait ailleurs, de mieux comprendre, de voir que c’est une réalité vécue par les autres, d’entendre les différentes solutions d’enjeux de porteurs dans les autres milieux même si cela n’est pas nécessairement applicable […]. Cela me donne espoir et ça me donne des arguments pour parler à [cette organisation]. Ça donne de l’eau au moulin. »
En conclusion, l’atelier lui a permis de clarifier ce qui est à sa portée et lui a montré d’autres gestes concrets à poser dans les prochaines semaines.
De plus, à la suite de codéveloppement, toutes les ressources COSMOSS se sont rendues compte d’un nouveau besoin d’échanger ensemble, car elles travaillent toutes spécifiquement sur ce thème-là avec les concertations locales. Des rencontres spécifiquement ont été mises en place par la suite, coordonnées par l’équipe régionale.
L’utilisation du codéveloppement professionnel dans sa forme « traditionnelle » en dehors des COTIM reste à la discrétion des ressources de concertation locale. Un support des personnes de l’équipe régionale connaissant le codéveloppement est également possible. Quelques-unes ont réalisé des ateliers formels entre elles, quand des situations difficiles demandaient de mieux organiser l’analyse et les réflexions. Les ressources ont plus l’impression d’utiliser « l’esprit » du codéveloppement pour leurs discussions de tous les jours, sans utiliser les étapes. Cela implique l’entraide, la recherche de solution pour des situations complexes, la valorisation des expertises de chacun et un espace d’échange sécuritaire. L’équipe régionale en fait de même et bien que quelques sessions aient eu lieu, il n’y a pas de rendez-vous formel pour réaliser du codéveloppement. Par contre, les discussions et les activités d’entraide restent omniprésentes à tous les paliers, à travers les nombreuses discussions informelles, et d’autres pratiques parentes comme le fait de « tenir conseil » dans le sens de L’Hotellier (2001), résumé par Xavier Gauthier (2003) :
« Le conseil se définit comme un acte de création d’un dialogue et d’une relation pour permettre la pensée. Il engage une recherche méthodique et plurielle du sens d’une situation-problème. Il construit une démarche active et créative. Il a pour référence permanente les conduites et les actes, leurs valeurs et leurs enchaînements, leur efficacité et leur rythme. »
Lors d’une entrevue, une ressource locale a exprimé l’intention d’utiliser le codéveloppement professionnel avec certains comités de concertation, car les personnes présentes ont nommé explicitement « le souhait d’avoir une communauté de pratique, les partenaires veulent s’auto-accompagner ». Il faudra voir dans les prochains mois si cela se concrétise. La ressource locale se sent suffisamment outillée et expérimentée pour animer les sessions de codéveloppement, car en plus d’avoir assisté aux COTIM, elle a également été formée à l’animation de groupe de codéveloppement lors de ses études.
Une autre ressource locale a partagé avoir introduit le codéveloppement professionnel dans une communauté de pratique entre agents de développement au sein de son territoire de MRC : « on se disait à quoi ça sert [ces rencontres] ? Tout le monde parle de l’avancement des dossiers, c’est intéressant, mais ça ne va pas plus loin ». Les participants cherchaient une méthode pour favoriser l’entraide, au-delà du partage de dossier. En s’inspirant des activités du COTIM, la ressource COSMOSS a proposé de faire du codéveloppement, ce que tous ces autres collègues ont accepté. À la suite d’un premier essai, cet atelier a été très bien accueilli : « Cela nous a obligés à bouger. On va te demander ce que tu as fait avec ton codéveloppement après ». Les membres du groupe ont décidé d’en faire à toutes les deux rencontres, où des volontaires pourront présenter des situations.
Pour les ressources COSMOSS, le codéveloppement est devenu un incontournable qui permet « de se retrouver dans une compréhension avec des professionnels qui font le même travail que nous, mais dans des territoires autres, avec des similitudes et des nuances ». Cette pratique leur permet de continuer à développer leurs savoir-faire, trouver des solutions concrètes à des situations complexes de leur quotidien et maintenir un réseau de soutien et d’entraide qui allège la complexité de leur mandat.
Bien que certaines étapes des ateliers ne soient pas toujours réalisées de manière optimale lors des expérimentations virtuelles, cela semble toujours apprenant et « nourrissant » pour les ressources. Revenir à une forme classique de codéveloppement permettrait d’aller encore plus loin dans les apprentissages. Dans les suites, il serait également intéressant de faire des liens plus concrets entre les ateliers de codéveloppement et le développement des compétences essentielles à l’agir ensemble (Racine, 2014). Il y a des parallèles à faire entre certaines compétences comme « communiquer et être en relation » ou « créer des conditions favorables à la participation et l’engagement » et l’animation et la participation aux sessions de codéveloppement. Cela pourrait ajouter une étape de plus dans le développement de la pratique des ressources de concertation qui en plus de découvrir de nouvelles façons de faire, approfondiraient également des compétences essentielles à leur rôle.
Après 13 ans de pratique du codéveloppement, il est intéressant prendre du recul et de partager ce que nous croyons être les facteurs de succès de cette pratique sur une longue période. En voici quelques-uns : la cohérence et la similitude des valeurs de COSMOSS et celles du codéveloppement, l’appréciation des ressources qui y participent (notamment pour briser l’isolement et favoriser la synergie de notre communauté de pratique), la formation et la rigueur des animateurs dans ce rôle, le rappel aux deux ans de la formation à la méthode, la volonté organisationnelle et le positionnement de cette pratique dans le cadre des rencontres régionales.
Le codéveloppement restera assurément une méthode privilégiée pour soutenir les ressources locales COSMOSS, qui peuvent ainsi à leur tour mieux accompagner leurs concertations locales et, ultimement, contribuer à améliorer la santé et le bien-être des jeunes et de leurs familles.
Références :
Bernier, N. (2002). Portrait jeunesse : travaillons ensemble—tout au long du parcours ! Régie régionale de la santé et des services sociaux du Bas-Saint-Laurent. https://cap.banq.qc.ca/notice?id=p::usmarcdef_0000613409
Bernier, A. & Thibodeau, C. (2018). COSMOSS Bas-Saint-Laurent : Guide d’accueil des partenaires. COSMOSS BSL. https://cosmoss.qc.ca/images/Upload/bas-saint-laurent/documentation/guide_daccueil_des_partenaires_adopte_crc.pdf
Champagne, C. (2015). « Le groupe de codéveloppement professionnel, pour être partenaires dans l’apprentissage et le développement professionnel ». Le partenaire, volume 24, numéro 2, p. 8 à 12. http://lespointsdequilibre.com/wp-content/uploads/2017/01/champagne2015Vol24no2Le-partenaire.pdf
Galvani, P. (2006). « L’exploration des moments d’autoformation : prise de conscience réflexive et compréhension dialogique ». Éducation Permanente, n°168 L’autoformation actualité et perspectives, p. 59-73. https://www.dropbox.com/s/sokml4lslyqklfe/Galvani%20Moments%20Intenses%20revue%20Interactions.pdf?dl=0
Gauthier, X. (2003). « A. Lhotellier. Tenir conseil. Délibérer pour agir ». L’orientation scolaire et professionnelle, volume 32, numéro 1. Consulté le 10 août 2021. URL : http://journals.openedition.org/osp/3217 ; DOI : https://doi.org/10.4000/osp.3217
Lescarbeau, R., Payette, M. et St-Arnaud, Y. (2003). Profession : consultant (4e éd.). Gaëtan Morin.
Lhotellier, A. (2001). Tenir conseil : délibérer pour agir. Seli Arslan.
Payette, A. & Champagne, C. (1997). Le groupe de codéveloppement professionnel. Presses de l’Université du Québec.
Racine, S. (2014). Les compétences essentielles à l’agir ensemble. Communagir. http://www.communagir.org/medias/2016/09/dte_vfinale_juin_2014.pdf